Bases didactiques de projet pédagogique : VYGOTSKY

La théorie socio-historique de développement de l'apprenant

Lev Semenovich VYGOTSKY (1896-1934) reçoit la mission dans les années 20, avec d’autres psychologues soviétiques, de mettre au point une théorie du développement humain compatible avec le Marxisme. Il s’inspire de « la thèse marxiste-léniniste qui soutient que toutes les activités cognitives humaines fondamentales prennent forme dans une matrice de l’histoire sociale et constituent ainsi un produit du développement socio-historique ».[1] Le principe-clé de son approche du comportement est que « chez l’être humain les processus mentaux supérieurs sont profondément influencés par les moyens socio-culturels qui les médiatisent ».[2]

VYGOTSKY se plonge dans ses recherches avec beaucoup de dynamisme et de ténacité, considérant les travaux des linguistes, des anthropologues, des psychologues de son temps, étudiant la psychologie du développement, l’éducation et la psychopathologie. Mais, en 1934, sa mort prématurée met brutalement fin à ses recherches. Cependant, « son approche, après un demi-siècle, continue à fournir une base théorique puissante qui permet d’incorporer les découvertes des disciplines des sciences sociales artificiellement séparées ».[3]

 

1. Les travaux de VYGOTSKY sur le développement de l’enfant 

VYGOTSKY affirme deux choses qui lui semblent indispensables à la compréhension des mécanismes sémiotiques influençant la nature des processus mentaux supérieurs:

 

1- La maîtrise du système des signes culturels passe par la transformation des processus mentaux de l’individu,

2- Le fonctionnement mental supérieur a des origines sociales et sa nature même est sociale.[4]

 

Pour VYGOTSKY, les modes de pensées sont issus davantage des institutions culturelles qui influent sur le développement de l’individu que des capacités intellectuelles et mentales héritées génétiquement. Pour lui, le fonctionnement mental supérieur de quelqu’un est le résultat de processus sociaux. Selon cette hypothèse, la capacité de penser d’un individu est conditionnée par l’histoire de la société dans laquelle il évolue et se développe. Sa théorie du développement montre un enfant dans des situations concrètes, actives, à partir desquelles il produit un système de pensées propre : l’action crée donc la pensée. Le développement mental est le processus par lequel l’enfant assimile les résultats de ses transactions avec l’environnement.[5]

 

VYGOTSKY applique la dialectique marxiste au développement de l’enfant en trois points :

 

1- Confronté à la vie, l’enfant prend conscience que ses façons d’agir ne sont pas toujours fiables (thèse),

2 - il se rend compte qu’elles sont inadaptées à une nouvelle situation (antithèse), 

3- il doit chercher une nouvelle méthode de résolution en réponse à cette situation nouvelle (synthèse).[6]

 

On qualifie souvent son approche de « socio-historique » ou « culturo-historique » (SMIRNOV, 1975) ou encore d’ « historico-culturelle ».

 

2. La médiation sémiotique et la zone proximale de développement

Selon VYGOTSKY, l’enfant passe d’un fonctionnement mental élémentaire à un fonctionnement mental supérieur en 2 temps : [7]

 

1 - Passage de l’activité individuelle à l’activité sociale,

2 - retour de l’activité sociale à l’activité individuelle.

 

Le comportement de l’enfant change en fonction de son environnement socio-culturel en introduisant la médiation sémiotique dans son activité sociale. On peut rapprocher cette interprétation du modèle piagétien. Pierre HIGELE, commentant ce modèle, en dit ceci : « La théorie piagétienne permet en effet de prendre en compte la dimension cognitive et, de là, d’interpréter les difficultés des apprenants en termes d’opérations intellectuelles ».[8]

 

Et de rappeler le processus d’assimilation-accommodation, l’assimilation correspondant à « un mouvement du sujet vers l’environnement sans modification de ses propres structures, l’accommodation correspondant à un mouvement inverse : le sujet modifie sa structure individuelle en fonction des modifications du milieu ».

 

La médiation sémiotique implique, selon VYGOTSKY, la hiérarchisation des activités, une activité dominant chaque étape ou stade du développement individuel. Le passage d’un stade de développement à un autre entraîne une transition d’une activité à une autre qui devient à son tour dominante. Cette activité dominante ou directrice possède au moins 3 caractéristiques :

 

1 - Elle est le facteur-clé d’un stade du développement psychologique de l’enfant,

2 - elle délimite l’émergence de certaines fonctions psychologiques de l’enfant,

3 - elle prépare l’activité dominante du stade suivant.

 

Entre chaque stade, des crises peuvent surgir, l’enfant passant du désintérêt pour une activité dominante jusque-là vers les prérequis de l’activité nouvelle qui va maintenant régir principalement sa vie. VYGOTSKY et ELKONIN décrivent différents stades de développement.[9] Selon cette classification, de 15 à 17 ans, le jeune s’engage progressivement dans un apprentissage vocationnel, il met au point des projets de vie.

 

Pour Vygotsky, c'est l'apprentissage qui pilote le développement. Vygotsky distingue deux situations :

 

1 - l'apprenant peut apprendre et accomplir certaines activités seul,

2 - l'apprenant peut apprendre et réaliser une activité avec l'appui d'un autre, 

  cette activité déterminant sa "capacité potentielle de développement".

 

Entre ces deux situations se situe la "zone proximale de développement" (ZPD) dans laquelle l'individu peut progresser grâce à l'appui de l'autre. 

 

3. L'apport de VYGOTSKY : le nécessaire besoin d’entrer en médiation 

L’élève de l'enseignement professionnel est un jeune, un adolescent, un jeune adulte. On ne peut le dissocier de sa propre personnalité, de ses choix, de ses désirs, de ses attentes, de sa structure psychologique, de son contexte socio-culturel et familial. Ainsi, il n’est pas souhaitable de faire une approche partielle/partiale de l’enfant-élève. Il faut plutôt chercher à traiter avec l’enfant total.

 

En effet, un jeune qui se sent attaqué, voit ses repères détruits, perd la maîtrise du système des signes culturels, au stade de la médiation sémiotique se sent marginalisé, exclu parfois au sens propre. Le refus d’entrée en médiation provoque, selon VYGOTSKY, exclusion et conflit. Le jeune qui se rend à l’école de la République s’attend à y trouver l’instruction dont il aura besoin pour s’intégrer dans le monde du travail et dans la société. C’est particulièrement le cas pour les élèves de Lycée professionnel.

 

Ce qu'apporte la théorie socio-historique du développement de l'apprenant de Vygotsky, c'est un regard neuf du professeur sur son élève et particulièrement sur l'élève professionnel. L'élève de Lycée professionnel, souvent mis en échec au collège, a perdu le plus souvent l'estime de l'école et l'estime de soi. Il est pourtant porteur d'une culture qui est la sienne. Il parle, il lit, il écrit. Il a des possibilités d'apprentissage.

 

C'est cette culture spécifique, parfois si éloignée des critères académiques, que le professeur doit impérativement reconnaître s'il veut que son apprenant en vienne à s'intéresser à son tour à celle que l'école veut lui transmettre. C'est en partant de cette culture de l'apprenant qu'il aura de meilleures chances de transmettre les valeurs et les contenus proposés par l'école. Pour ce faire, le professeur devra travailler sur lui-même et développer des qualités telles que la compréhension, l'empathie, la bienveillance, la générosité et la patience envers de tels élèves, parfois brisés par le système lui-même.  

 


[1] MURRAY T., MICHEL C., Vygotsky et la tradition soviétique, in Théories du développement de l’enfant, Bruxelles, De Bœck-Wesmael S.A., 1994, pp. 317 à 343.

[2] SCHNEUWLY B., BRONCKART J.P., VYGOTSKY aujourd’hui, TDB, Paris, Delachaux & Niestlé S.A, 1985, p.139.

[3] SCHNEUWLY B., BRONCKART J.P., 1985, op. cité, p.167.

[4] « Partons du principe qui nous paraît fondamental dans cette analyse des fonctions mentales supérieures, à savoir que les formes culturelles du comportement ont des fondements naturels. La culture ne crée rien, elle modifie seulement les données naturelles en les rendant conformes aux buts que se forgent les êtres humains ».SCHNEUWLY B., BRONCKART J.P., 1985, op. cité, p.140.

[5] MURRAY T., MICHEL C., 1994, op. cité, p.320.

[6] « Ainsi, le développement de l’enfant consiste en un flux ininterrompu de conflits dialectiques et de résolutions. Cependant, celles-ci sont intériorisées, de façon à former un savoir psychophysiologique de plus en plus élaboré. Ce savoir se mue alors en un ensemble de techniques, d’attentes, de sens, avec lequel l’enfant pourra aborder les problèmes auxquels il sera confronté par la suite ». MURRAY T., MICHEL C., 1994, Ibid., p.321.

[7] SCHNEUWLY B., BRONCKART J.P., 1985, Ibid., pp.157 à 165.

[8] HIGELE P., Construire le raisonnement chez les enfants, Pédagogie, Paris, Retz, 1997, p.15.

[9] De la naissance à 1 an, c’est le stade du contact intuitif et émotionnel (interaction émotionnelle) ; de 1 à 3 ans, c’est le moment de la manipulation d’objets (acquisition progressive du langage et d’une pensée visuelle) ; de 3 à 7 ans, l’enfant joue (imagination, socialisation progressive) ; de 7 à 11 ans, l’enfant apprend (approches théoriques, abstraction, réflexion) ; de 11 à 15 ans, l’adolescent acquiert une activité de correction sociale indispensable pour la résolution des problèmes de la vie quotidienne et pour comprendre le point de vue des autres, «se soumettre consciemment aux règles sociales». MURRAY T., MICHEL C., 1994, op. cité, pp.336-340.

 

 

Références bibliographiques

 

Apprendre selon Vygotsky, Académie de Versailles.

http://www.pedagogie95.ac-versailles.fr/index.php/l-ecole-maternelle/l-entree-dans-les-apprentissages/quelques-prealables/85-apprendre-selon-vygotsky

 

Jacques Lecomte, Lev Vygotsky (1896-1934), Pensée et langage, Sciences Humaines, Mensuel N°81, mars 1998.

http://www.scienceshumaines.com/lev-vygotski-1896-1934-pensee-et-langage_fr_9754.html

 

LEV S. VYGOTSKY, Perspectives - revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris,

©UNESCO Bureau international d’éducation, vol. XXIV, n° 3/4, 1994 (91/92), p. 793-820.

vygotskf.pdf
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Frederic Yvon et Yuri Zinchenko (Sous la direction de), Vygotsky, une théorie du développement et de l'Education, Recueil de textes et commentaires,Traductions de Ludmila Chaiguerova et de Francoise Seve pour Apprentissage et développement à l'âge préscolaire, Université d'Etat de Moscou Lomonossov & Université de Montréal, Moscou, MGU, 2011.

Vygotsky_1-428.pdf
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B. Gindis Ph.D., Contemporary bilingual psycho-educational assessment in the context  of  VYGOTSKY's social cultural activity theory, Course EDUC 711-5 Simon Fraser University, Vancouver, Canada, 3-20 juillet 2012.

http://www.bgcenter.com/Announcements/Vygotsky%20Class.htm