Lire la poésie du XXème siècle

 

Robert Desnos, un jour qu'il faisait nuit, 1923

 

Il s’envola au fond de la rivière.

Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.

Tout rien.

Je la hais d’amour comme tout chacun.

Le mort respirait des grandes bouffées de vide.

Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.

Après cela il descendit au grenier.

Les étoiles de midi resplendissaient.

Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine.

Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.

En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.

Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.

Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.

La pluie nous sécha.

 

Extraits de Corps et biens Langage cuit (1923)

http://www.jaidesmots.com/po%C3%A8tes-fameux-ou-po%C3%ABt-po%C3%AAt/surr%C3%A9alistes/desnos-robert/

 

  Paul Eluard, La terre est bleue, 1929 

 

La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.

 

Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.

 

Paul Eluard, L’amour la poésie, 1929

http://commentairecompose.fr/la-terre-est-bleue-comme-une-orange-eluard-texte

 

Paul Eluard, Couvre-feu, Poésie et Vérité, 1942.

 

Que voulez-vous la porte était gardée

Que voulez-vous nous étions enfermés

Que voulez-vous la rue était barrée

Que voulez-vous la ville était matée

Que voulez-vous elle était affamée

Que voulez-vous nous étions désarmés

Que voulez-vous la nuit était tombée

Que voulez-vous nous nous sommes aimés.

 

Paul Eluard, poète en résistance

http://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/paul-eluard/

 

Paul Eluard, Liberté, 1942.

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

 

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

 

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

 

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

 

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

 

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

 

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

 

 

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

 

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

 

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

 

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

 

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

 

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

 

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

  

 

 

 

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

 

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

 

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

 

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

 

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

 

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

 

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

 

 

 

Liberté.


Boris Vian, Le déserteur, Textes et Chansons, 1955.

 

Monsieur le Président

Je vous fais une lettre

Que vous lirez peut-être

Si vous avez le temps

 

Je viens de recevoir

 Mes papiers militaires

 Pour partir à la guerre

 Avant mercredi soir

 

Monsieur le Président

Je ne veux pas la faire

Je ne suis pas sur terre

Pour tuer des pauvres gens

 

C'est pas pour vous fâcher

II faut que je vous dise

Ma décision est prise

Je m'en vais déserter.

 

Depuis que je suis né

J'ai vu mourir mon père

J'ai vu partir mes frères

 Et pleurer mes enfants

 

Ma mère a tant souffert

Qu'elle est dedans sa tombe

Et se moque des bombes

Et se moque des vers

 

Quand j'étais prisonnier

On m'a volé ma femme

On m'a volé mon âme

Et tout mon cher passé

 

Demain de bon matin

Je fermerai ma porte

Au nez des années mortes

J'irai sur les chemins

 

Je mendierai ma vie

Sur les routes de France

De Bretagne en Provence

Et je dirai aux gens

 

Refusez d'obéir

Refusez de la faire

N'allez pas à la guerre

Refusez de partir

 

S'il faut donner son sang

Allez donner le vôtre

Vous êtes bon apôtre

Monsieur le Président

 

Si vous me poursuivez

Prévenez vos gendarmes

Que je n'aurai pas d'armes

Et qu'ils pourront tirer

Le "déserteur" de Vian : le destin exceptionnel d'un hymne pacifiste

https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/chanson-francaise/le-deserteur-de-vian-le-destin-exceptionnel-d-un-hymne-pacifiste_3384993.html